Maladie d'Alzheimer : trois questions et une histoire (4/4)
Y a-t-il quelqu’un de mon village ?
Pierre souffre d’un trouble cognitif profond qui le rend mutique, la plupart du temps, et anxieux, le reste. Il ne répond que rarement et de manière elliptique aux questions qu’on lui pose. Il perd progressivement la capacité de parler. Les mots ne se bousculent plus sur sa langue et ses dents. Ils sont rares et pas toujours immédiatement adaptés aux circonstances. Il est confiné au fauteuil, la journée, et au lit, la nuit, ayant oublié l’usage de la marche.
Ce jour c’est fête dans l’établissement qui l’héberge, à proximité de son ancien domicile. Les gens des alentours et les familles sont invités. Il règne une joyeuse ambiance de fête de village dans les jardins et sous la tente qui a été dressée pour l’occasion.
Allant vers la cuisine, désertée pour cause de barbecue champêtre, tout autant que le restaurant et le petit salon, je rencontre Pierre, seul, dans son fauteuil, attablé. « Mais, Monsieur X, vous n’êtes pas avec nous ? Que faites vous seul ? » . Pas de réponse, comme d’habitude, ce qui, je pense, a motivé l’isolement puis, probablement, l’oubli. « C’est la fête, Monsieur X, vous voulez venir au milieu de tout le monde ? ».
« Il y a des gens de mon village, ici ? ». C’est sorti des profondeurs, comme d’habitude chez ces personnes, comme l’éruption d’un volcan. « Oui, bien sûr, il y a des gens de Y (son village), vous souhaitez aller les voir ? » « Oui ! » . Un oui simple qui tombe comme le marteau du commissaire priseur. Celui qui de l’homme perdu sur la route jaillit tout-à-coup : « bon sang, mais c’est bien sûr !!, Oui, j’ai compris ! Oui, c’est cela !! ».
« Je vous conduits ».
Ce qui fut dit fut fait : Pierre se retrouva au milieu des siens, ses voisins, ses proches. Ils se sont embrassés comme du bon pain, ils se sont fêtés. Ils pleuraient. Pierre pleurait… et parlait… et riait ! Je ne l’avais jamais vu aussi ouvert et assoiffé de partager la vie avec les autres. Il a mangé sous la tente, au lieu d’attendre son repas, seul. Il était au milieu des siens. Il retrouvait le sens des choses de sa vie.
La vie avait retrouvé le chemin de l’existence de tous les présents.
Un roman pour mieux comprendre la maladie : Est-ce que je nous perds quand je me perds ? Éditions Balland